LE DÉSERT

 

Quand le bédouin qui va de l'Horeb en Syrie

Lie au tronc du dattier sa cavale amaigrie,

Et, sous l'ombre poudreuse où sèche le fruit mort,

Dans son rude manteau s'enveloppe et s'endort,

Revoit-il, faisant trêve aux ardentes fatigues,

La lointaine oasis où rougissent les figues,

Et l'étroite vallée où campe sa tribu,
Et la Source Courante où ses lèvres ont bu,

Et les brebis bêlant, et les bœufs à leurs crêches,

Et les femmes causant près des citernes fraîches,

Ou, sur le sable, en rang, les chameliers assis,

Aux lueurs de la lune écoutant les récits ?

Non, par-delà le cours des heures éphémères,

Son âme est en voyage au pays des chimères.

Il rêve qu'Al-Borak, le cheval glorieux,
L'emporte en hennissant dans la hauteur des cieux.

 

Leconte de Lisle