Le Lièvre et la Perdrix

 

Il ne se faut jamais moquer des misérables :

Car qui peut s'assurer d'être toujours heureux ?

Le sage Esope dans ses Fables

Nous en donne un exemple ou deux.

Celui qu'en ces Vers je propose,

Et les siens, ce sont même chose.

Le Lièvre et la Perdrix, concitoyens d'un champ,

Vivaient dans un état, ce semble, assez tranquille,

Quand une Meute s'approchant

Oblige le premier à chercher un asile.

Il s'enfuit dans son fort, met les chiens en défaut,

Sans même en excepter Briffaut.

Enfin il se trahit lui-même.

Par les esprits sortants de son corps échauffé.

Miraut sur leur odeur ayant philosophé

Conclut que c'est son Lièvre, et d'une ardeur extrême

Il le pousse, et Rustaut, qui n'a jamais menti,

Dit que le Lièvre est reparti.

Le pauvre malheureux vient mourir à son gîte.

La Perdrix le raille, et lui dit :

Tu te vantais d'être si vite :

Qu'as-tu fait de tes pieds ? Au moment qu'elle rit,

Son tour vient ; on la trouve. Elle croit que ses ailes

La sauront garantir à toute extrémité ;

Mais la pauvrette avait compté

Sans l'Autour aux serres cruelles.

 

Jean de la Fontaine